Aller à l'en-tête Aller au menu principal Aller au contenu Aller au pied de page
Accueil - Des institutions et des normes : entretien avec Armel LE DIVELLEC

Des institutions et des normes : entretien avec Armel LE DIVELLEC

Recherche
Des institutions et des normes : entretien avec Armel LE DIVELLEC
Rubrique recherche: 
Temps fort: 
Publié ce 11 juillet aux Éditions Panthéon-Assas, l'ouvrage interroge les notions d'institution et de norme à travers plusieurs contributions

Deux ans après sa tenue en 2021, les actes du colloque organisé par Armel LE DIVELLEC, directeur adjoint du Centre d’études constitutionnelles et politiques (CECP) et professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas, interrogeant les notions d’institution et de norme, paraissent aujourd’hui aux Éditions Panthéon-Assas. Nous nous sommes entretenues avec le professeur afin de présenter l'ouvrage. 

Qu’est-ce qui a motivé, pour cette publication, votre volonté de traiter des notions d’institution et de norme ?

Armel LE DIVELLEC – Le droit est un univers complexe et passionnant. Je pense que tout juriste, quel que soit le type d’activité qu’il exerce, devrait, tout au long de sa vie, s’efforcer de réfléchir sur le droit en tant que tel, c’est-à-dire en réalité aux conditions permettant de le penser. Cela suppose de réinterroger les concepts utilisés – parfois un peu machinalement – par ceux qui font le droit tout comme par ceux qui cherchent à décrire et analyser le droit. Cette tâche concerne évidemment, au premier chef, les universitaires. C’est pourtant loin d’être facile ! Cela pourrait paraître surprenant mais les juristes et, parmi eux, les professeurs de droit, mêmes les plus expérimentés et chevronnés, ont souvent du mal à donner du droit une définition simple. Ce qui prouve que la réponse n’est pas évidente et doit continuer à être posée.

En ce qui me concerne, je travaille plus particulièrement sur l’une des disciplines un peu spécifique du droit, le droit constitutionnel, qui fut longtemps considérée comme moins rigoureuse que les autres. Spécifique en ce qu’elle est par excellence le terrain où se nouent les tensions fondamentales qui habitent le droit : en particulier la question de l’origine d’un pouvoir de domination légitime s’exerçant sur les humains et la question des conditions de fabrication de ce qui permet la vie en société. Or, j’ai constaté que la science française du droit constitutionnel privilégiait, depuis plusieurs décennies, un discours sur le droit à partir du concept de norme (ou, pour certains, de règle) juridique. Et qu’en même temps, elle continuait à employer le terme d’institution (d’ailleurs le plus souvent au pluriel), dont elle faisait depuis très longtemps usage, mais un usage flou (nous sommes le pays des impressionnistes !) et qu’elle n’articule jamais clairement avec le discours sur les normes. Il m’a semblé qu’il serait bon d’éclaircir cette sorte de mystère.

Pouvez-vous revenir sur la définition de ces termes d’institution et de norme ?

Armel LE DIVELLEC – L’une de mes intuitions était qu’il n’existe pas d’essence du concept d’institution et c’est sans doute pour cela qu’il est employé aussi massivement mais dans des directions très diverses. Le terme est polysémique et d’ailleurs utilisé dans d’autres disciplines que le droit : en sociologie et en philosophie, notamment, où il fait l’objet de nombreux travaux. Il est aussi utilisé, mais de manière encore plus floue, par le personnel politique. Pourtant, il me semble qu’il peut et doit faire l’objet d’une définition juridique, propre à servir à mieux comprendre le droit, et d’abord le droit constitutionnel. Mais j’ai voulu tester mes hypothèses en faisant également appel, dans cet ouvrage, à des spécialistes d’autres disciplines : l’histoire du droit, le droit administratif, la science politique.

Sous ce rapport, je trouve qu’il convient de distinguer, comme le faisait le grand juriste Maurice HAURIOU il y a un siècle, mais en affinant son approche, les institutions-personnes, qui sont animées par des êtres de chair et de sang (ce sont au fond, en droit, les organes étatiques ou leurs démembrements, mais aussi des corps « para-juridiques » comme les partis politiques) d’une part, et les institutions-choses, d’autre part. Ces dernières sont plus délicates à appréhender. HAURIOU n’a pas développé cette seconde catégorie. Je propose d’y voir des objets de pensée structurés, sans lesquels les institutions-personnes opéreraient dans le vide ; elles sont, si l’on veut, des guides pour leur activité. Ces deux catégories d’institutions se conditionnent mutuellement. C’est d’une grande et belle complexité !

D’autre part, le concept de norme juridique est lui aussi complexe et ne fait pas l’objet d’un consensus parfait dans la doctrine, même si nous avons tendance spontanément à le réduire à des impératifs, des commandements. Or, je pense que ces objets que nous appelons les normes juridiques ne sont pas réductibles à des interdictions, des permissions ou des habilitations. Tout énoncé d’un texte à prétention juridique ne dicte pas nécessairement quelque chose. Mais il peut être le point de départ du droit. En tout état de cause, la thèse principale que j’ai cru pouvoir lancer est que – reprenant une formule d’HAURIOU mais qu’il n’est pas parvenu à développer pleinement – ce sont les institutions qui font les normes juridiques et non l’inverse. J’admets toutefois que cette thèse pose beaucoup de questions.

En quoi cela vous tenait-il à cœur d’inclure, à la fin de certaines contributions, la retranscription des débats ayant suivi les interventions des participants ?

Armel LE DIVELLEC – J’y tenais, en effet, parce que les débats introduisent parfois (dans le meilleur des cas) une dynamique de discussion que ne permet pas totalement la juxtaposition de contributions individuelles. En l’occurrence, lors du colloque, nos échanges ont permis de préciser tel ou tel point, d’en nuancer d’autres, parfois d’approcher davantage certains problèmes, de mieux faire apparaître nos points de convergence ou de divergence.

Quel bilan pouvez-vous tirer à l’issue de ce colloque ?

Armel LE DIVELLEC – En premier lieu qu’il est difficile de convaincre ses pairs lorsque l’on tente de sortir des sentiers battus ! Mais aussi et surtout combien il est important et utile que les juristes discutent et débattent des concepts et problèmes fondamentaux de leur discipline, parce que ces concepts et problèmes sont toujours devant nous et qu’on ne saurait prétendre avoir trouvé une fois pour toutes la « bonne façon » de penser le droit. C’est comme cela que la pensée avance, cahin-caha.

À quel public s’adresse votre ouvrage ?

Armel LE DIVELLEC – D’abord à tous les juristes, bien sûr ! Qu’ils soient universitaires ou non. Qu’ils soient des chercheurs confirmés ou des étudiants soucieux de réfléchir à des questions fondamentales. Mais je serais heureux si cet ouvrage pouvait susciter la curiosité et même l’intérêt de non-juristes : politistes, philosophes, sociologues, historiens. Le droit est tellement important pour la vie d'un pays libéral et démocratique. Tout citoyen devrait s’y intéresser, ce qui suppose de réfléchir sur la meilleure façon de le penser.

Retrouvez l'ouvrage en librairie dès à présent.