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Retour sur les riches débats qui ont fructifié lors des Nocturnes de l'Économie 2019

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Retour sur les riches débats qui ont fructifié lors des Nocturnes de l'Économie 2019
Les nocturnes de l'économie
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Ces rencontres, qui se sont tenues le 9 avril dernier au centre Assas, portaient sur le thème « Économistes et juristes face aux défis actuels du droit »

Transversalité et pédagogie : tels étaient les maîtres-mots qui ont guidé les débats des Nocturnes de l’économie. C’est le Centre de recherches en économie et droit (CRED), dirigé par le professeur Bruno DEFFAINS, qui a organisé l’accueil, pour la première fois au sein de l’université Paris 2, de cette conférence vespérale. En effet, le thème retenu, « Économistes et juristes face aux défis actuels du droit », s’inscrit naturellement dans les réflexions poursuivies à différents niveaux par le CRED. Aujourd’hui, dans un monde globalisé et largement orienté par les perspectives économiques, la question de l’adaptation de l’État de droit se pose avec insistance à la lueur de la digitalisation qui s’accélère. Lors, la question de l’apport de la science économique aux grands débats juridiques contemporains à travers les exemples de la transformation numérique et de la raison d’être de l’entreprise se pose avec acuité, et les débats du 2 avril dernier ont tenté d’apporter des éclairages à un large public, composé d’étudiants, de chercheurs ou bien de citoyens curieux et avertis.

La première table ronde, qui réunissait enseignants-chercheurs et professionnels du droit et des nouvelles technologies, s’est intéressée à un enjeu d’actualité, la transformation numérique du marché du droit. À l’heure actuelle, la legaltech connaît un développement important, mais les levées de fonds sont encore modestes en France et restent limitées au développement de solutions techniques très abouties sur un marché du droit de l’ordre de 32 milliards d’euros (contre 437 milliards aux États-Unis). La prochaine étape sera de mettre en œuvre des innovations organisationnelles, c’est-à-dire celles qui permettent de recomposer la chaîne de valeurs. Cette évolution pourrait également entraîner une modification du processus de production des valeurs juridiques, dont la « plateformisation » n’est qu’un ersatz. En effet, les participants à la table ronde ont estimé qu’un risque de « pulvérisation » de toute norme, sur le modèle des plateformes de transport ou de livraison à domicile, n’était pas crédible en raison de la matière travaillée, la sécurité juridique s’inscrivant en porte-à-faux avec ce type de pratiques. Ce type de changement implique de surcroît un travail de fond pour traduire le langage juridique en code informatique. Le développement de l’intelligence artificielle répond en fait à un besoin de se décharger des processus et démarches récurrents afin de libérer du temps pour la création de valeur intellectuelle ajoutée. Indéniablement, et les membres du panel l’ont souligné, ces évolutions ne pourront pas remplacer la valeur ajoutée que représente l’intelligence humaine ; elles constituent un gain de productivité complémentaire, sous réserve que se produise une véritable appropriation du numérique par les professionnels du droit ; appropriation aujourd’hui encore balbutiante. En effet, le développement de l’intelligence artificielle s’accompagne d’interrogations d’ampleur sociétale, relatives en particulier aux questions éthiques. Ces réflexions sont partagées par les entreprises et par les structures étatiques et internationales. Il faudra également garder à l’esprit que la révolution culturelle que constitue l’automatisation de processus juridiques nécessite qu’elle soit partageable par tous, avec un accès égal aux outils créés. Mais dans un premier temps et dès aujourd’hui, il est primordial d’apprécier les enjeux économiques de cette transformation numérique du marché du droit.

La deuxième table ronde portait, elle, sur un sujet plus technique mais tout aussi brûlant : la réforme du droit des sociétés via, en particulier, la redéfinition de l’entreprise telle qu’elle fut consacrée en 1804 par Napoléon, qui intéresse autant les professionnels du droit que les économistes, réunis pour cette occasion. La loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) consacre ainsi la notion d’objet social de l’entreprise. En effet, les problématiques environnementales et sociétales s’imposent de manière de plus en plus pressante aux entreprises, et elles ont un impact économique réel. L’on ne peut que constater que le texte de la loi est ambivalent, créant une prise en considération dont les limites restent mal définies, ce qui lui ôte tout caractère contraignant. D’ailleurs, tous les participants à la table ronde s’accordent à considérer que les intérêts capitalistiques des entreprises ont tendance, à l’heure actuelle, à entrer en discordance avec ces responsabilités environnementales et sociétales. La loi cherche donc à impulser un changement de paradigme fondamental qui s’oppose aux pratiques économiques constatées et pose la question de sa performativité effective. Coup de pied dans une porte ouverte ou bien réel changement ? La portée exacte de cette législation reste à écrire, par les entreprises qui vont, pour certaines, devoir adapter leurs pratiques. En tout cas, les membres du panel nous donnent rendez-vous dans dix ans pour revenir sur les effets de cette législation.

Cette soirée aura donc été l’occasion d’éclairer par l’actualité les sillons intellectuels creusés par le CRED et rappelés à l’orée de la conférence par le professeur Bruno DEFFAINS : comment la réflexion et les outils économiques peuvent-il éclairer les enjeux des réformes juridiques ? La question, riche de réflexions à venir, n’a pas fini d’être posée car raisonnement économique et outils juridiques ne cessent de s’entrechoquer, d’où une nécessaire et perpétuelle adaptation qui passera entre autres par le développement de l’open data, suite logique alors que l’intelligence artificielle, les algorithmes et le calcul quantique connaissent un développement sans précédent.