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Master class 2016

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Master Class Assas
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Un « pre-trial » à Assas : procès pour homophobie contre une femme politique rejugée en appel, la prévenue est relaxée !

La Master Class 2016, co-organisée par l'IEJ et les étudiants de IP Assas, a eu lieu lundi 14 mars 2016, sous la présidence de Madame Camille Lignières (vice présidente de la Troisième chambre civile du Tribunal de Grande Instance de Paris) et de ses deux conseillers-assesseurs, Maitres Claire Chaillou (Cabinet Carbonnier Lamaze Rasle & Associés) et Claire Bouchenard (Cabinet Osborne Clarke) ; elle opposait les avocats de la prévenue, Valentin Huerre et Jean-Baptiste Lavergne (étudiants du Master PLAI) à l'avocat de la partie civile, Maitre Charles de Raignac (Cabinet DLA Piper) et à l'avocat général, le Professeur Pierre-Yves Gautier ; le public était nombreux (amphi 4 d'Assas, plein), composé tant d'étudiants que de professionnels du Droit (parmi lesquels le dernier vice-Bâtonnier de Paris, Laurent Martinet).

L'affaire en cause était l'appel correctionnel d'un jugement rendu le 18 décembre 2015 par le tribunal correctionnel de Paris, ayant condamné Christine Boutin (la prévenue) pour provocation à la haine ou à la violence, à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, en raison de leur orientation sexuelle ; la liberté d'expression avait été écartée ; les propos « l'homosexualité est une abomination », étaient principalement en cause.

La présidente a ouvert les débats, la parole étant donnée en premier à l'avocat de la partie civile, puis à l'avocat général et enfin aux avocats de l'appelante.

L'avocat de la partie civile (groupement d'associations de défense des droits des homosexuels), a organisé son propos en deux temps, d'une part pour démontrer que l'infraction de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 est constituée, tant dans ses éléments matériel qu'intentionnel et d'autre part, anticiper les arguments des avocats de la défense, notamment tenant à la liberté d'expression, ici dépassée.
Il a souligné le manquement à la « retenue », qu'il est légitime d'attendre d'une personnalité politique et analysé la jurisprudence pertinente ou qui ne l'était pas, notamment l'arrêt « Handyside » de la CEDH.
Il a en conséquence sollicité la confirmation du jugement et la publication dans différents journaux, de la décision à intervenir.

L'avocat général, commençant son propos, a rappelé la condamnation d'Oscar Wilde, par un tribunal de Londres en 1895, pour homosexualité, époque victorienne qui semble nostalgique pour la prévenue. Il a cependant poursuivi en indiquant que le ministère public n'avait pas fait d'appel incident (qui aurait permis d'aggraver la peine).

Il a alors donné les raisons de ne pas interjeter appel, au titre desquelles figurent l'instauration croissante du contrôle de proportionnalité comme méthode de raisonnement juridique, conduisant les juges à un équilibre entre les différents droits fondamentaux en présence ; il a ainsi introduit la dignité des groupes homosexuels dans le débat, au regard de la liberté d'expression excessive de l'appelante.

L'avocat général a exprimé son accord avec l'argument de la partie civile, selon lequel la personnalité politique du prévenu doit conduire à davantage de retenue de sa part.
Il a alors suggéré à la Cour de maintenir l'amende prononcée, avec une motivation empêchant une condamnation par la Cour européenne des droits de l'Homme.

Les avocats de la défense ont pris la parole, tour à tour, analysant l'infraction de provocation de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, avec l'aiguillon de la liberté d'expression comme fil directeur.

Le premier avocat de la défense (Valentin Huerre) a expliqué que l'infraction de provocation à la haine nécessite que deux conditions soient remplies : le rejet d'un groupe déterminé et l'appel du public à partager ce rejet.
Il a également avancé l'argument selon lequel le propos de sa cliente entrait dans la liberté d'opinion religieuse, et doit de ce fait être protégé par l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

La plaidoirie du second avocat de la défense (Jean-Baptiste Lavergne) prit essentiellement la forme d'une question adressée à la Cour, en utilisant la célèbre jurisprudence « Vanneste » de la chambre criminelle de la Cour de cassation, ayant tenu le même type de propos comme non punissables : pourquoi condamner la prévenue sur le terrain de la provocation, infraction plus grave que l'injure et sanctionnée plus sévèrement, s'il n'est pas certain qu'elle eût été condamnée sur ce dernier fondement ?

On notera que tous les plaideurs, très documentés, ont utilisé des manuels de droit spécialisés dans les domaines concernés, du droit pénal au droit de la presse, en passant par le droit des personnes et les Droits fondamentaux.

La présidente a clôturé les débats, les avocats sont sortis, laissant place au délibéré avec le public, un des « cœurs » de la master class : il a été l'occasion d'une discussion animée sur les droits en balance, mais aussi sur l'impact de la personnalité politique de l'appelante.

L'arrêt est « tombé », spectaculaire, après un vote du public et de la Cour : la prévenue a été déclarée non coupable, l'infraction de provocation n'étant pas pleinement constituée, de sorte qu'elle a été entièrement relaxée des fins de la poursuite.

Yannis BOUZIDI