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Entretien avec Charlotte DENIZEAU : L'idée fédérale européenne à la lumière du droit comparé

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Entretien avec Charlotte DENIZEAU : L'idée fédérale européenne à la lumière du droit comparé
Charlotte Denizeau - L'idée fédérale européenne à la lumière du droit comparé droit européen Éditions Panthéon-Assas
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L'ouvrage est paru le 14 janvier 2020 aux Éditions Panthéon-Assas

Les Éditions Panthéon-Assas, piliers de la recherche de l'université Paris 2 Panthéon-Assas, mettent en lumière, depuis 1998, les travaux des enseignants et docteurs issus de toutes les disciplines de l'université : droit, science politique, économie, gestion et sciences de l’information et de la communication.

En ce début d'année marqué par une actualité européenne brûlante, les Éditions Panthéon-Assas ont publié les actes du colloque international sur L'idée fédérale européenne à la lumière du droit comparé, organisé par le Centre de Droit public comparé, sous la direction de Charlotte DENIZEAU, maître de conférences à l'université Paris 2 Panthéon-Assas. Ce colloque réunit les contributions de professeurs étrangers et français, spécialistes du fédéralisme et du droit de l'Union. L'approche comparative permet de dessiner une cartographie des Unions fédératives d'États au sein de laquelle l'Union européenne occupe une place à la fois naturelle et singulière.

À l’occasion de la publication des actes du colloque, sa directrice et organisatrice Charlotte DENIZEAU s’est prêtée au jeu de l’interview, pour en faire une présentation.

Éditions Panthéon-Assas – Comment est née l’idée de ce colloque ?

Charlotte Denizeau – L’idée de ce colloque est née d’un constat et d’une ambition. 

Le constat relève de l’évidence : l’Union européenne traverse depuis deux décennies une crise économique, sociale et démocratique qui l’affaiblit sur son territoire auprès des citoyens, mais aussi sur la scène internationale à l’égard des grandes puissances. Cette crise invite à réinterroger l’Union sur son identité et son projet. Le défi des générations actuelles et à venir sera de lui donner un nouvel élan, afin d’en garantir la pérennité. Mais sous quelle forme ? Relever ce défi implique une réflexion sur la nature de l’Union souhaitée. Une Europe plus intégrée, une Europe démocratique et citoyenne, une Europe fédérale équilibrée avec des institutions fortes et des États puissants ? Ou bien une Europe toujours plus vaste, un marché de la libre circulation plus grand, une Union douanière sans cesse plus étendue, mais au pouvoir central affaibli, au service des seuls intérêts étatiques ?

L’ambition réside dans le choix de la démarche comparative. Il s’agit de changer de focale : sortir du cadre conceptuel français où ces questions ont été largement explorées, pour s’intéresser à ce que peuvent nous apprendre les analyses comparées, nourries des expériences propres à chaque système étatique. Le colloque a permis de recueillir les visions scientifiques de professeurs spécialistes de ces systèmes juridiques, venus d’États fédéraux (États-Unis, Allemagne, Suisse, Belgique) ou régionaux (Espagne, Italie), pour mener une réflexion sur l’idée fédérale européenne, en dressant un bilan et en traçant des perspectives.

Une telle analyse a des visées très concrètes : l’expérience historique, juridique et politique des États fédéraux et régionaux est utile et instructive pour comprendre l’Union. Les expériences fédérales passées et contemporaines étatiques et pré-étatiques permettent  d’appréhender par le droit les grandes espérances de départ portées par la méthode fonctionnelle fédéraliste, pour en mesurer l’aboutissement. Ces expériences nourrissent aussi l’idée fédérale européenne de demain.

Quels sont les grands thèmes abordés ?

Le thème central de l’ouvrage est le fédéralisme.

Définir le fédéralisme est une gageure car il y a autant de fédéralismes que d’unions fédérales d’États et d’États fédéraux, toutefois la méthode fédérale ou les structures fédérales présentent des traits constants : il s’agit d’un mode de distribution du pouvoir entre les institutions locales et supra-locales, entre les autorités étatiques et fédérales. La méthode fédérale se caractérise par la multiplicité des niveaux de décision autonomes au sein d’une Union d’États. L’Union européenne répond à certains des traits attachés à la méthode fédérale : une organisation institutionnelle développée, en partie autonome des États membres représentés dans cette organisation, l’attribution de compétences à l’Union, y compris des compétences exclusives, l’effet direct et la primauté du droit de l’Union, l’existence d’une double citoyenneté, etc. Mais elle s’en distingue en ce que les États, restés souverains, conservent leur stature internationale et gardent la compétence de la compétence. Ce faisant, cette organisation n’est pas figée. Le processus fédératif européen est évolutif, mais comporte une constante, en vertu de laquelle il doit garder un équilibre pour échapper à la centralisation et à la dilution du pouvoir, tiraillé entre des forces centripètes au profit des institutions européennes et centrifuges, au profit des États.

Quatre problématiques, étudiées dans les tables rondes à la lumière du droit comparé, sont au cœur de ces rapports de forces. La première concerne la recherche d’un peuple européen, d’un demos constitué des citoyens de l’Union. La première table ronde pose la question : la quête d’un seul peuple européen est-elle une condition préalable indispensable au développement d’une Union fédérale démocratique ou peut-on passer outre ?

La deuxième interroge le principe de primauté de l’Union. La suprématie du droit fédéral sur le droit des États fédérés est une caractéristique fondamentale des États fédéraux. Pourtant l’Europe n’a pas réussi à assurer pleinement la primauté du droit de l’Union, comme les États-Unis (supremacy clause), l’Allemagne (Bundesrecht bricht Landesrecht) ou la Suisse (Bundesrecht bricht Kantonalrecht) l’ont fait.

La troisième questionne la forme de gouvernement à retenir pour l’Union européenne : la question relative à la fonction gouvernementale européenne n’a pas été résolue. Il reste difficile de déterminer qui a le leadership en l’Europe : le débat s’est figé entre les défenseurs de la méthode fédérale voulant pousser la Commission au rang d’exécutif européen à part entière, et ceux qui veulent faire pencher la balance en faveur des États, en renforçant le rôle du Conseil des ministres et surtout du Conseil européen.

Enfin, la quatrième s’intéresse au rôle que l’on entend faire jouer aux droits fondamentaux. Le fédéralisme peut être compris comme tendant à garantir une meilleure protection des droits et libertés, en ce qu’il divise le pouvoir entre les autorités fédérales et étatiques et protège davantage les citoyens des abus de la puissance publique. La Cour de justice s’emploie, depuis ses premiers arrêts, à tenir ce cap fédéral en assurant la protection des droits fondamentaux, dont le respect constitue, énonce-t-elle, « un principe constitutionnel » dans une Union de droit.

À qui s’adresse cet ouvrage ?

L’ouvrage s’adresse à tous ceux, juristes ou non, qui s’intéressent à la construction européenne, qu’ils soient enseignants, chercheurs ou étudiants. Il vise également un public plus large qui réfléchirait à l’avenir de l’Union et à la compréhension des principaux enjeux.

Selon vous, les derniers événements survenus en Europe (Brexit, euroscepticisme, etc.) contrarient-ils ou au contraire accélèrent-ils le projet fédéraliste européen ?

Deux points de vue sont envisageables : une vision pessimiste consiste à ne plus voir dans l’Union européenne qu’une addition désagrégée d’États, toujours plus désunis dans la diversité. Elle serait dans une impasse, proche du démantèlement, minée par l’euroscepticisme et la montée des populismes.

Mais on peut aussi voir les choses différemment, avec plus de nuances et d’optimisme. S’agissant du Brexit tout d’abord, il aura eu l’effet paradoxal d’inciter les États eurosceptiques, notamment de l’Est, à manifester leur loyauté à l’égard de l’Union, excluant de suivre l’exemple britannique, conscients des risques économiques, pratiques et politiques encourus.

Ensuite, l’option alternative, à même de garantir la poursuite d’un destin commun, consiste à réconcilier les citoyens avec la construction européenne, c’est-à-dire parvenir à renforcer leur sentiment d’appartenance à l’Union et consolider la démocratie par la mise en place d’une réelle gouvernance démocratique et sociale. Alors que l’histoire européenne a été marquée par toutes les formes du totalitarisme, la démocratie a fini par devenir, après l’effondrement du mur de Berlin, le caractère politique commun des États européens. Aujourd’hui, elle est la condition première d’adhésion à l’Union. C’est ce modèle démocratique, qui établit une relation de confiance entre l’individuel et le collectif, entre le citoyen et l’État, qu’il faut parvenir à ancrer et solidifier dans le système institutionnel de l’Union européenne.

Le fédéralisme européen présente l’avantage de ne pas être enfermé par un cadre figé, il est suffisamment souple et flexible pour répondre aux défis de la construction européenne. Le cap fédéral reste un phare dans la tempête, une lumière guidant cette unita multiplex et ordonnant l’identité pluraliste de l’Europe.

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